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L’aménagement de l’autorité parentale en période de confinement

1 avril 2020

L’aménagement de l’autorité parentale en période de confinement

 

Carine DENOIT-BENTEUX, avocat associé, membre du Conseil national des barreaux, présidente de la Commission Textes du CNB

Le 17 mars 2020, à 12h00, est entré en vigueur le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19.Ce décret prévoit l’interdiction, jusqu’au 31 mars 2020, du déplacement de toute personne hors de son domicile, à l’exception des déplacements pour certains motifs, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes.

Le confinement ainsi imposé a un impact important sur l’exercice de l’autorité parentale et suscite de nombreuses inquiétudes pour les parents séparés.

 

1 – En effet, la mise en œuvre de ce décret soulève des interrogations quant aux droits et devoirs des parents qui exercent seuls ou en commun l’autorité parentale. Si le principe est le maintien des modalités de son exercice, cela n’est pas sans poser des difficultés dans le quotidien des familles. En outre, en cette période exceptionnelle, il paraît essentiel de prendre le recul nécessaire et d’envisager plus que jamais l’intérêt de l’enfant, notamment au prisme de sa santé et sa sécurité.

 

  1. Principe du maintien de l’exercice de l’autorité parentale en période de confinement

 

2 – L’autorité parentale est définie par l’article 371-1 du Code civil comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éduction et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».

Elle est exercée en commun par les père et mère de l’enfant (C. civ., art. 372) et la séparation des parents est sans incidence. Ils doivent continuer de prendre conjointement les décisions relatives à l’enfant et, au regard des circonstances actuelles, ils doivent s’informer de l’état de santé de l’enfant, du suivi scolaire désormais assuré à la maison et demander l’accord de l’autre en cas de déplacement à l’extérieur.

Le confinement ne doit en rien modifier l’exercice de l’autorité parentale et doit, tout au contraire, aiguiser la vigilance et conduire à associer davantage l’autre parent.

 

  1. Résidence de l’enfant et exercice du droit de visite et d’hébergement en période de confinement

 

3 – Le confinement emporte évidemment des conséquences sur les droits et devoirs des parents quant à la résidence de l’enfant.

En effet, le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 prévoit, en son article 1er, l’interdiction de tout déplacement des personnes, ainsi que l’exception suivante :

« 4° déplacement pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables ou pour la garde d’enfants ».

Là-encore, les mesures exceptionnelles prévues par ce décret ne sauraient modifier les modalités d’exercice de l’autorité parentale.

 

4 – Il n’en demeure pas moins que ces déplacements, qu’ils soient faits dans le cadre d’une résidence alternée ou pour l’exercice du droit de visite et d’hébergement, restent soumis au contrôle des forces de l’ordre. Dès lors, les parents doivent impérativement se munir de l’attestation de déplacement dérogatoire dûment renseignée, datée et signée (téléchargeable sur le site internet service public.fr ou interieur.gouv.fr), lorsqu’ils envisagent un déplacement pour le droit de visite et d’hébergement ou la résidence alternée de leurs enfants.

 

5 – Pour prévenir toute difficulté lors d’un contrôle, on ne saurait que conseiller aux parents de se munir également des décisions de justice rendues ou de la convention de divorce  enregistrée, lesquelles précisent les modalités du droit de visite et d’hébergement ou de la résidence alternée. En l’absence de décision, les parents séparés peuvent disposer d’une convention parentale ou encore d’un échange de mails imprimés fixant leur accord.

 

6 –A fortiori, en cette période de crise sanitaire, il est essentiel pour les parents de faire circuler entre eux le carnet de santé de l’enfant lors de l’alternance ou de l’exercice du droit de visite et d’hébergement.

En dépit de ces règles, la situation de confinement peut conduire à envisager quelques aménagements, en particulier pour des raisons liées à la santé, à la distance ou à la situation de l’un des parents.

 

III. Aménagement et assouplissement des modalités de l’exercice de l’autorité parentale en période de confinement

 

7 – Dans l’exercice de l’autorité parentale, il convient de faire preuve de responsabilité en privilégiant l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel s’apprécie au cas par cas.

En période de confinement, l’intérêt supérieur de l’enfant ne doit pas être assimilé au strict respect de l’exercice de l’autorité parentale prévu par un jugement ou une convention de divorce. Si un enfant présente des signes de maladie, que l’un des parents est régulièrement exposé ou continue de travailler, ou encore si l’un des parents vit éloigné ou en compagnie de personnes vulnérables, il peut être dans son intérêt que le droit de visite et d’hébergement ou la résidence alternée soient aménagés à titre exceptionnel pour préserver sa santé et sa sécurtié.

Le bon sens et la bienveillance doivent alors animer les titulaires de l’autorité parentale en toute circonstance, d’autant plus en situation exceptionelle de confinement.

 

8 – Ainsi, et d’un commun accord, les parents peuvent provisoirement aménager les modalités habituelles en choisissant, par exemple, de suspendre ou d’espacer les alternances entre les domiciles des parents en cas de résidence alternée ou encore de modifier la fréquence du droit de visite et d’hébergement. Dans ce cas, les parents prévoient s’ils le souhaitent un « rattrapage » à l’issue de la période de confinement. Et, pour se prémunir d’éventuels futurs litiges, il est évidemment conseillé à chacun de conserver une trace de ces échanges.

 

9  – Dans un contexte très anxiogène d’épidémie, celui chez qui la résidence de l’enfant est fixée à titre principale peut être amené à refuser de remettre l’enfant à l’autre parent.
Sur ce point, il convient de rappeler que l’article 227-5 du Code pénal réprime le fait de « refuser indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer ». Toutefois, ce délit de non-présentation de l’enfant est à nuancer en cas d’épidémie. En effet, on peut raisonnablement penser que, si des plaintes sont déposées, peu de poursuites et condamnations interviendront, notamment si des circonstances spéciales sont démontrées, par exemple un risque de contamination élevé.

 

10 – Il faut souligner enfin le cas spécifique du parent qui bénéficie de droit de visite en lieu médiatisé, lequel est de factosuspendu par la fermeture de ces lieux. Il en va de même lorsque l’un des parent est incarcéré. Dans une lettre adressée, le 17 mars 2020, à l’ensemble des agents du ministère de la Justice, la garde des Sceaux précise que « l’administration pénitentiaire étudie les moyens de préserver les liens entre les personnes détenues et leurs proches » (sur la situation pénitentiaire en période de confinement, V. Dr. famille 2020, comm. X, Ph. Bonfils).

 

  1. Difficultés relatives au maintien des modalités de l’exercice de l’autorité parentale en période de confinement en raison de l’éloignement ou de la situation particulière de l’un des parents

 

11 – Peuavant la période de confinement, de nombreux français ont pris la décision de changer provisoirement de domicile pour s’installer à la campagne. En ce cas,il convient de rappeler, aux termes de l’article 373-2, alinéa 4 du Code civil, que « tout changement de résidence de l’un des parents, dès lors qu’il modifie les modalités d’exercice de l’autorité parentale, doit faire l’objet d’une information préalable et en temps utile de l’autre parent. » Là-encore,au regard du contexte, mais aussi du caractère temporaire des mesures de confinement, il convient d’analyser chaque situation selon l’intérêt supérieur de l’enfant pour juger du respect des conditions posées par le texte.

 

12 – Au-delà de ces situations d’éloignement provisoire du lieu de vie, les modalités d’exercice de l’autorité parentale peuvent être remises en cause pour des raisons indépendantes de la volonté des parents. En pratique, l’exercice de l’autorité parentale se heurte à des difficultés si les domiciles des parents sont éloignés géographiquement. Le plus souvent, le parent chez qui l’enfant ne réside pas bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement plus réduit (vacances scolaires), impliquant pour l’enfant un trajet long en voiture, en train, voire en avion, pour rejoindre le parent qui exerce son droit de visite et d’hébergement. Il faudra, une fois de plus, en appeler au bon sens et à la bienveillance des parents, quitte à l’hébergeant de renoncer exceptionnellement à sa période de vacances scolaires pour garantir la santé et la sécurité de l’enfant ou encore au gardien de proposer des solutions alternatives, par exemple l’abandon des week-ends prolongés à venir ou une période supplémentaire sur ses propres vacances (et pourquoi pas la fameuse première semaine de juillet…). Une telle solution ne pourra évidemment être mise en œuvre qu’avec l’accord des deux parents qui auront, à nouveau, tout intérêt à se ménager des preuves écrites, qu’ils soient ou non assistés d’un avocat.

 

13 – En tout état de cause, les moyens de communication doivent être mis à profit pour permettre au parent privé de son droit de visite et d’hébergement de maintenir un lien régulier, voire quotidien, avec l’enfant.

 

14 – Les difficultés sont accrues si l’un des parents réside habituellement à l’étranger, à l’intérieur ou en-dehors de l’espace Schengen. Les frontières européennes sont fermées depuis le 17 mars 2020. De très nombreux pays, hors Union européenne, ont aussi fermé leur liaisons régulières avec la France ou instauré des mesures de quarantaine empêchant de factole séjour de l’enfant à l’étranger auprès de son père ou sa mère.

 

15 – Plus que jamais, bon sens et bienveillance seront de mise. Quant aux moyens de communication, ils remplacent provisoirement le droit d’hébergement pour garantir la santé et la sécurité de l’enfant. Des instruments internationaux existent pour faire respecter les droits de visite, tel la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants ; ils semblent néanmoins disproportionnés en l’espèce.

 

  1. Gestion des difficultés relatives aux modalités d’exercice de l’autorité parentale en période de confinement

 

16 – Force est de constater que la crise sanitaire invite les parents à échanger davantage pour prendre ensemble les mesures qui s’imposent : réorganiser provisoirement les modalités d’exercice de l’autorité parentale, déployer tout mode de communication à distance visuel (facetime, watsapp, webcam, etc…), à tout le moins audio, avec le parent chez qui l’enfant ne vit pas, pour pallier un exercice du droit de visite et d’hébergement empêché par le confinement.

Dans certaines familles, néanmoins, l’état de la communication est tel que les accords sont plus difficiles et que l’aide d’un tiers s’avère nécessaire.

 

17 – En période de confinement, seules les procédures présentant un réel caractère d’urgence, lié notamment au danger, donneront lieu à une audience devant le juge aux affaires familiales (Dr. famille 2020, entretien 1, C. Féral-Schuhl et É. Mulon). Pour autant, la saisine du juge est loin d’être la seule alternative pour accompagner les parents qui rencontrent des difficultés. Ces derniers sont invités, plus que jamais, à recourir aux processus de règlement amiable des différends, notamment la médiation. Même à distance, téléphoniquement ou par visio-conférence, le médiateur mandaté sera compétent pourétablir une communication plus sereine et tenter de parvenir à des accords pour gérer la situation de crise traversée par certains parents.

 

18 – En outre, les professionnels du droit sont particulièrement mobilisés pour déployer la gestion amiable des contentieux. Le Conseil national des barreaux (CNB) met en ligne un annuaire national des avocats médiateurs spécifiquement formés à la médiation, lequel dispose d’une rubrique dédiée à la médiation familiale. Partant, et à l’issue de cette crise exceptionnelle, la gestion des crises familiales sera nécessairement transformée.

 

Mots-clés : Autorité parentale – Résidence alternée – Confinement – Covid-19